Paris, une saturation française
Les Parisiens ? Des bobos vegan qui envahissent l'île de Ré pour écrire leur journal de confinement. Et en vrai ? (Photo AFP)

Paris, une saturation française

Pourquoi cette obsession pour les « Parisiens » qui concentrent sarcasmes, mépris, fascination et répulsion mais aussi pouvoirs politique, économique et médiatique ? Le journaliste Olivier Razemon s’attache dans son dernier livre à décrire « l’anatomie d’un déséquilibre » dont la crise sanitaire a accéléré la prise de conscience. Il propose des pistes pour sortir de l’hypertrophie francilienne en soulignant que la solution est principalement politique.

« Le Parisien ? Il vaut mieux l’avoir en journal. » Cette publicité ironique du quotidien régional d’Île-de-France remonte à plus de vingt ans mais les clichés dont elle jouait n’ont pas pris une ride. L’exode parisien constaté lors du premier confinement a ravivé ces urbains poncifs à grand renfort de reportages chez les « provinciaux » hostiles à cette invasion de « bobos ». La réalité est plus nuancée, note Olivier Razemon dans son dernier ouvrage, Les Parisiens, une obsession française (1), puisque les « habitants de banlieues populaires ont été plus nombreux à s’exiler que ceux des villes-centres et des banlieues aisées » indique une étude de l’IFOP. Qu’importe la réalité : l’image que l’on retient est celle du « bobo parisien vegan parti écrire son journal de confinement sur l’île de Ré », poursuit-il.

Les huit semaines de confinements peuvent sembler anecdotiques mais elles ont rappelé l’extrême fragilité des grandes métropoles face aux épidémies, et interroge la place, unique en Europe, d’un « monstre » urbain de 12 millions d’habitants. Le fameux Paris et le désert français de Jean-François Gravier, dont Olivier Razemon, inconsciemment ou non, suit la trame – un constat implacable puis des solutions – date de 1947. Depuis, malgré les lois de décentralisation, l’avènement de la « métropolisation », rien n’y a fait, le déséquilibre s’est accentué et l’épisode du confinement n’a fait qu’illustrer jusqu’à l’outrance ce « malaise français », selon l’expression du journaliste qui sillonne la France depuis des années.

Un déséquilibre né de la volonté de l’État

L’hypertrophie francilienne n’est pas le fruit du hasard, démontre Olivier Razemon. Elle « correspond à une volonté résolue de l’État » et s’incarne désormais dans « Le Grand Paris. » Lancée par Nicolas Sarkozy et sacralisée dans des discours fondateurs, cette politique s’appuie notamment sur l’idéologie aujourd’hui très contestée du ruissellement : ce qui est bon pour Paris serait bon pour toute la France. Construire « les plus hautes tours d’Europe » à Paris, « ville-monde » bénéficierait à Béru (Yonne) ou Cissac (Gironde). « Toute la dialectique « grand-parisienne » raisonne comme si les liens avec les autres régions étaient négligeables, comme s’il était impensable qu’une partie des Franciliens finissent par vivre ailleurs, comme si l’Île-de-France était une bulle » regrette Olivier Razemon. Le Grand-Paris express, ce « supermétro » qui reliera les villes de la petite couronne, aura d’abord pour conséquence d’accélérer la «gentrification ». Et le coût de ce projet « démesuré et pas toujours cohérent » ne cesse d’être réévalué.

Les « Parisiens » - c’est à dire les douze millions d’habitants de l’Île-de-France – vivent dans des logements hors de prix, leur espace est saturé, pollué, ils passent des heures dans les transports… « La densité humaine de la région n’est plus tenable », insiste Olivier Razemon. Pourquoi dès lors continuer à vivre dans de telles conditions ? Huit « Parisiens » sur dix sont nés ailleurs. On devient parisien pour étudier et travailler. Chaque année, 130 000 nouveaux habitants s’installent. Autant, voire un peu plus, s’en vont. Et six Franciliens sur dix quitteraient leur région s’ils en avaient la possibilité.

La crise sanitaire et ses rêves de monde d’après vont-ils changer réellement la donne et permettre de désenfler l’Île-de-France au profit des bourgs, des villes moyennes qui en ont bien besoin ? Le Covid n’a pas tué le plaisir de l’urbanité, rappelle Olivier Razemon. Mais « quitter la métropole, cela ne signifie pas forcément quitter la ville. Bon nombre de citadins, attachés à l’anonymat, se méfient de la vie de village. » Mais il est en « province » - rebaptisés « les territoires » par la novlangue – de nombreuses bourgades « de 800, 6 000 ou 50 000 habitants, desservies par le train ou le car, dotées de commerces et de services, comportant une diversité de logements : maisons de ville avec jardin, appartement en rez-de-jardin, anciens ou moderne etc. Dans un territoire urbain, quel qu’il soit, la densité facilite comme partout la proximité, l’intensité des relations humaines, une forme de vie citadine et des déplacement non motorisé (…) Les villes moyennes, en France, sont davantage des métropoles en miniature que de gros villages. »

Le paradoxe est qu’il y a une offre – des villes prêtes à accueillir - une demande – des métropolitains en quête d’une vie apaisée - , mais « rares sont les politiques publiques visant une rencontre entre les deux objectifs ». Le rééquilibrage, poursuit Olivier Razemon, « n’est pas seulement une aspiration individuelle. C’est un choix politique nécessaire pour limiter l’hyperdensité de la région parisienne » et son cortège de conséquences néfastes. Au passage, ce qui est vrai à Paris le devient, à une échelle moindre, dans les Métropoles. Ce qu’ont parfaitement compris les responsables du marketing territorial de villes moyennes voire de zones rurales, qui draguent le cadre lyonnais ou bordelais.

Il ne faut pas rêver : la généralisation du télétravail ne suffira pas à créer ce rééquilibrage. D’abord car il ne concerne qu’une partie de la population, et notamment pas ceux que l’on a appelé les « premiers de corvées ». Ainsi, lors du premier confinement, la fréquentation de la partie Nord du RER A, principalement utilisée par des employés et ouvriers, n’a perdu que 15 % quand sa partie Sud, qui dessert la défense, chutait de 40 %. Gare à l’exode sélectif, avertit Olivier Razemon qui aboutirait à une « lubéronisation ». Non, il est impératif de « renoncer au gigantisme », arrêter de construire « des tours de bureaux énergivores », se poser la question d’achever dans sa globalité le Grand Paris Express, relocaliser les services et les emplois à proximité des logements… Une ambition qui, conclut-il, implique « une politique de tous les instants et de long terme, et s’apparente en cela à la transition écologique, qui demeure superbement ignorée » - dans les faits, sinon dans les discours.

Bruno WALTER

(1) Rue de l’échiquier, février 2021

Article paru dans CourrierCab en mars

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