Vaccin : l’injonction de l’injection médiatique
Le ministre de la Santé Olivier Véran s'est plié à la médiatisation de sa vaccination.

Vaccin : l’injonction de l’injection médiatique

Se faire vacciner devant les caméras pour entraîner l’adhésion des rétifs : les élus sont placés devant leur devoir d’exemplarité. Derrière les habituelles querelles sur l’opportunité, ou non, de médiatiser sa piqûre, le débat pose la question de l’importance croissante de la communication d’influence par la mise en scène du corps.

La crise sanitaire a multiplié les débats clivants et les positions sur le dernier en date relève plus de l’ère du clash que de la mésotès, la juste mesure, d’Aristote : les élus doivent-ils se faire vacciner devant les caméras, pour montrer l’exemple ? « Je me ferai vacciner, quand mon tour viendra, sans privilège et je le ferai sans doute publiquement pour l'exemplarité », a indiqué le maire de Toulouse Jean-Luc Moudenc. Tous les élus ne sont pas sur cette ligne. La jeune maire de la commune savoyarde de Tournon, 650 habitants, Sandrine Berthet, se fera vacciner mais « je ne vois pas l’intérêt de le médiatiser. Chacun est libre de ses choix » a-t-elle expliqué à l’hebdomadaire local La Savoie.

Les questions ouvertes par ce débat se situent à plusieurs niveaux. Le plus évident est le devoir d’exemplarité. Face à la réticence d’une partie de la population et l’activisme des anti-vaccins, la mise en scène de la vaccination des élus y participe. Ce devoir d’exemplarité se heurte à la passion pour l’égalité dont on sait depuis Tocqueville qu’elle anime, pas toujours pour le meilleur, l’esprit français. « L’exemplarité, c’est d’attendre son tour » a tranché le ministre de la Santé Olivier Véran à l’Assemblée nationale. Des polémiques n’ont en effet pas tardé à naître sur la vaccination d’élus qui n’entrait pas dans le calendrier arrêté par la stratégie nationale. Ainsi, le président de la région Nouvelle-Aquitaine Alain Lambert et le président de Bordeaux Métropole Alain Anziani, vaccinés devant les objectifs le 6 janvier à l’occasion du lancement de la campagne dans la région n’ont pas attendu leur tour pour tendre leur avant-bras. « Je ne suis pas résident en Ehpad mais il faut qu'on donne l'exemple et il ne faudrait pas qu'on ait le sentiment, c'est un peu la crainte des présidents de région et de département, qu'on manquerait de doses » s’est justifié Alain Lambert. Sur la même longueur d’ondes que Valérie Pécresse : la présidente de la région Ile-de-France a estimé sur France Info que « le Premier ministre devrait se faire vacciner devant les caméras, c’est son devoir ».

Ces confrontations de convictions, ordinaire dans la conversation politique, ne sont que la surface d’un débat plus profond abordé par l’universitaire Fabienne Martin-Juchat (1), professeur en sciences de l’information et de la communication à l’université de Grenoble dans un article publié le 5 janvier sur le site The Conversation. Elle s’y interroge sur la généralisation des techniques d’influence par l’exposition ritualisée des corps des célébrités. « La mise en scène du corps des élites fait partie de l’histoire des civilisations, explique-t-elle à ComPol. Au temple d’Angkor Vat par exemple, on peut voir un visage de roi qui regarde son peuple dans toutes les directions. » Si le phénomène n’est pas nouveau, il semble s’être accéléré : les politiques maîtrisent de mieux en mieux les techniques et les codes de cette communication corporelle. Logique : elle peut être terriblement efficace. « Là ou le discours repose sur l’argumentation, poursuit Fabienne Martin-Juchat, la mise en scène de soi repose sur des mécanismes émotionnels. Ces techniques d’influence affective font partie des techniques de persuasion. » L’opposition entre le discours rationnel et le corps émetteur et réceptacle des émotions n’est pas exempte de nuances, bien sûr. « Même Habermas, avec son éthique de la discussion, n’est pas naïf : l’art oratoire met aussi le corps en scène. »

Pour autant, à la suite de Descartes, la modernité signait le triomphe de l’esprit sur le corps. Aussi l’universitaire voit-elle dans les temps actuels « un échec de la modernité, une inversion du rapport corps/esprit. Aujourd’hui, c’est le corps qui sait. La raison serait mensongère et la valeur de vérité et la capacité à connaître passe par l’affect. » Voir des élus ou des scientifiques de renom se faire vacciner sera perçu comme vrai, là où des explications rationnelles et vérifiables seront questionnées. Les visées performatives du discours s’effacent derrière le spectacle du corps s’offrant en performance.

Malgré leur recours accru à ce type de communication, les politiques sont encore réticents à le reconnaître, constate Fabienne Martin-Juchat. Parce qu’elle s’adresse aux affects, la mise en scène des corps pourrait passer pour une technique de manipulation. « Il y a un déni : les élus ont du mal à assumer que la communication politique est une communication d’influence des affects. » De fait, il y a un risque d’être assimilé aux populismes – que l’on songe aux mises en scène viriles du corps de Vladimir Poutine – où aux complotistes qui n’ont pas les mêmes pudeurs éthiques. Pas plus d’ailleurs, et c’est peut-être l’ultime ironie de l’affaire, que les citoyens anonymes qui n’hésitent pas à mettre en scène des « vaxxies », des selfies de leur vaccin.

Bruno WALTER

(1) Fabienne Martin-Juchat vient de publier L’aventure du corps, La communication corporelle, une voie vers l’émancipation, PUG 2020.

Article paru dans ComPol n°147 du 29 janvier 2021



Lucia D'Apote

Concepteur-rédacteur & Photographe

4 ans

“L'exemplarité n'est pas la meilleure façon d'influencer les autres. C'est la seule “ dixit d'Albert Schweitzer. Mais de quelle exemplarité parle-t-on ?  En l’occurrence, l'influenceur - de la même manière que les influenceurs et influenceurs sur Instagram - vante qqchose, “vend” qqchose. Mais quoi précisément ?   Que LE vaccin c’est bien pour sa santé? c’est bien pour protéger les autres? c’est bien pour stopper cette pandémie ? Qu'IL c’est inoffensif ? Mais c’est inutile puisqu’on a déjà une proportion de demandes de vaccination bien supérieure au nombre de vaccins dont on dispose. Et pis, un Axel Kahn notamment faisait très bien le job :) Donc il ne s’agit pas en l’occurrence de vanter les mérites, de “vendre”, le Pfizer là. Ni le Moderna. Mais alors, de quel vaccin parle-t-on alors? Ne s’agirait-il pas de l’Astrazeneca ?   Ce vaccin qui suscite de nombreux doutes. Même si Alain Fischer - le monsieur qui n’aime pas qu’on l’appelle monsieur Vaccin- est venu encore ce matin à l’antenne d’une radio nationale pour dire tout le bien qu’il en pensait.   En aurait-on un stock qui nécessiterait qu’on “persuade” une certaine “cible” ? Le corps médical par exemple, et plus précisément celui plus jeune ?  Effeuillage partiel .. Matez ce buste vigoureux qu’on ne saurait voir. Plutôt sexy, non ? Important l'emballage dans la comm pour "embellir" le message :) Mesdames et messieurs les professionnels de santé, je viens m’exposer à vous dans mon intimité pour vous prouver à quel point je “crois” dans le vaccin Astrazeneca. Donc ..  “Croyez-moi”. Et faites-vous vacciner avec celui-là. On est bien, il me semble, dans le modèle des influenceurs et influenceurs sur Instagram :) PS :Pardon pour les caricatures qui illustrent mon propos. Pas bien méchant. Histoire de dédramatiser tout ça :)  

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Plus d’articles de Bruno Walter

Autres pages consultées

Explorer les sujets