Pourquoi est-il si difficile de lever des fonds pour une coopérative à impact comme Label Emmaüs quand des start-up lèvent des millions?
Après une année de crise sanitaire, les modèles économiques dominants sont plus que jamais questionnés. Seront-ils en mesure de relever les défis sociaux et environnementaux qui attendent notre société? Depuis plus de 30 ans, les acteurs de l’Economie Sociale et Solidaire (ESS) ont prouvé qu'ils savent allier rentabilité, création locale d'emplois, préservation des ressources, tout en respectant des principes fondamentaux de partage des richesses et du pouvoir. Pourtant, pour des coopératives comme Label Emmaüs, lever des fonds restent encore un parcours du combattant. A quand une politique fiscale à la hauteur de l'urgence sociale et climatique?
Lorsqu'en 2016, Label Emmaüs est créé, il nous apparaît comme une évidence de choisir le statut coopératif, nous permettant d'être à mi-chemin entre l'associatif et l'entreprise, de rester fidèle à nos origines, celui de la défense du bien commun, tout en adoptant le régime fiscal propre à notre activité, pour relever le défi d'être une alternative solidaire aux géants du web. Nous ne nous doutions pas alors que le choix de ce statut rendrait si complexe les levées de fonds nécessaires à un modèle de "start-up sociale" comme le nôtre.
Dès l'origine, nous avions prévu que pour atteindre notre seuil de rentabilité et être en capacité d'investir nos propres bénéfices dans notre outil de travail, il nous faudrait au moins quatre années d'activité, en doublant chaque année le volume de transactions sur notre site. Ce délai est lié au modèle de marketplace qui suppose un changement d’échelle important pour être à l’équilibre. Mais surtout, plus qu'une boutique en ligne, Label Emmaüs est un projet de transformation digitale solidaire qui suppose une longue conduite du changement, notamment la formation et l’accompagnement d’acteurs sur le terrain, et en particulier des personnes en situation d’exclusion. Pour faciliter leur appréhension de cette nouvelle activité, beaucoup d’investissements technologiques sont nécessaires pour proposer des outils suffisamment ergonomiques et accessibles pour ceux maîtrisant peu le numérique ou le français.
Beaucoup de nos dépenses sont sans retour sur investissement dans un sens strictement économique, mais servent notre impact social et environnemental, unique objectif de notre action. Nous avons même créé une école en 2019, Label école, qui propose des formations gratuites aux métiers du e-commerce pour les demandeurs d'emploi en IDF. Ainsi qu'un fonds de dotation, Label Transition, qui a lancé la plateforme de financement participatif par le don d'objets en ligne, Trëmma, au début de l'année, dont l'unique objectif est de soutenir des acteurs associatifs dans leur transition numérique.
Pour atteindre notre point d’équilibre, puis dégager des bénéfices, tous réinvestis dans l’outil de travail comme stipulés dans les statuts de la coopérative, et soutenir nos projets solidaires (école, fonds de dotation...), un financement d’environ 2 millions d’euros a été jugé nécessaire au lancement de Label Emmaüs pour couvrir les investissements et les charges de fonctionnement des 4 premiers exercices déficitaires. Cette somme peut paraître assez modeste par rapport aux levées de fonds des start-up qui défraient la chronique, sans parler de notre proposition de valeur, préférer l'humain aux robots, la seconde main au neuf, le partage de richesse à un actionnariat prédateur, qui mérite à priori quelques investissements financiers... C'était sans compter sur les limites qui pèsent encore sur un modèle hybride comme le nôtre!
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Une coopérative fiscalisée ne peut en effet être éligible au mécénat et émettre de reçus fiscaux, ce que la majorité des fondations d'entreprises demandent pour recevoir leurs subventions. Nous avons même fait une demande aux impôts en ce sens, mettant en avant notre mission sociale et environnementale, et la non distribution de dividendes inscrite dans nos statuts. Leur retour a été négatif. Mais la double peine, c'est que nous n'intéressons pas non plus des investisseurs classiques puisqu'une coopérative n'a aucune capitalisation: 100 euros investis il y 5 ans dans Label Emmaüs valent toujours 100 euros aujourd'hui alors que notre activité a doublé chaque année. A cela s'ajoute le fait que notre gouvernance repose sur le principe d'un sociétaire, une voix. Qu'ils investissement un million ou un euro, tous les sociétaires de la coopérative ont le même pouvoir. Dissocier le capital du pouvoir, investir sans capitalisation, des concepts bien loin des habitudes des business angels...
Heureusement, certaines fondations, comme celle de la France s'engage, nous ont apporté leur soutien, tout comme de nombreuses collectivités. Nous avons aussi pu compter sur des fonds d'investissement à impact comme ceux de France Active ou d'Inco. Enfin, malgré un cadre règlementaire très contraignant, nous avons réussi à ouvrir notre capital à des investisseurs solidaires, des citoyens qui souhaitent donner du sens à leur épargne. Ils sont aujourd'hui plus de 700 à avoir souscrit des parts sociales de notre coopérative, leur ouvrant droit à une déduction fiscale de 25% sur leurs impôts à condition qu'ils laissent leurs placements pendant au moins 5 ans.
Après plusieurs années de démarche, notre partenaire Lita.co, plateforme de financement pour entreprises à impact a enfin obtenu l'autorisation de lancer des campagnes de souscription en parts sociales pour les coopératives. Nous avons désormais l'espoir que cette forme de financement citoyen prendra le relais d'une finance qui reste bien éloigné des modèles économiques solidaires et éco-responsables. Mais pour cela, encore faudrait-il que ce modèle d'investissement soit mieux connu du grand public, ce en quoi la puissance publique pourrait apporter son soutien, par des moyens de communication mais aussi en incitant fiscalement les épargnants responsables à faire ce choix (passer à 30%, voire 50% de déduction sur l'IR serait un vrai levier!).
Il est temps de soutenir le changement d'échelle d'entreprises vertueuses!
Designer indépendante éco-consciente* fondatrice Rosebush Studio // Membre du Mouvement LES RAD!CALES // Collaboratrice sur l'exposition ExtraVERTie
1 ansGeoffroy Bragadir
Responsable développement commercial chez CiiB (Conseil en Ingénierie et Introduction Boursière des PME-PMI)
3 ansLe cabinet CIIB, a développer une mini bourse digital où les investisseurs peuvent se rencontrer de gré à gré, et avoir même des plus-values, pour toute entreprise souhaitant réaliser une levée de fonds grâce à l'épargne solidaire et sans impacter l'indépendance de votre gestion. Notre dernière opération a permis de levée 1,5M avec 950 clients de l'entreprise.
COO - Chief Operations & Partnerships Officer / Directeur des Opérations et des Partenariats
3 ansMerci beaucoup Maud pour ton retour éclairé et très éclairant sur des difficultés très concrètes... Qui doivent être plus largement connus . Le "deux poids , deux mesures" de la financiarisation hors sol doit céder le pas devant l'urgence solidaire et environnemental.. Ca urge ! A bientôt !
Et si vous faites une ICO je suis sur que vu la qualité très international du label vous pouvez largement financé et avoir en plus une governance partagée