Éduquer les Afghanes, une classe à la fois
Sadiqa Basiri Saleem n’est pas une étudiante diplômée comme les autres. Elle se consacre actuellement à la rédaction de sa thèse à la Faculté des arts de l’Université d’Ottawa, mais son travail ne s’arrête pas là. L’étudiante internationale est aussi cofondatrice et directrice générale de l’Oruj Learning Center, organisme sans but lucratif afghan qui a pour but d’offrir aux femmes la possibilité d’aller à l’école. Sadiqa a mis l’école sur pied en 2002, à la faveur d’un retour dans son pays d’origine avec en main ses économies, un tableau noir, des bâtons de craie, des cahiers et un objectif : créer la première école pour filles du village. Jusqu’à présent, les résultats sont impressionnants, plus de 4000 filles ayant profité des cours dispensés par l’établissement.
Sadiqa en impose par sa vision du monde et ses opinions sur la façon d’améliorer les choses. Elle s’est récemment rendue à Washington, où elle s’est jointe à l’ancien président américain Bill Clinton comme panéliste dans le cadre du Clinton Global Initiative University Meeting, un colloque international regroupant des étudiants de plus de 70 pays. Le colloque fait la promotion de façons dont des étudiants comme Sadiqa peuvent s’engager à l’international.
Surmonter des obstacles
Dans un pays en voie de développement comme l’Afghanistan, Sadiqa doit surmonter d'importants obstacles. Elle interagit avec son personnel à partir d’Ottawa, mais les tâches les plus simples, comme de trouver des enseignants (surtout au niveau postsecondaire) peuvent se révéler ardues. Sadiqa s’emploie à resserrer les liens entre les professeurs d’Afghanistan et ceux de l’étranger dans le but d’asseoir la crédibilité de l’Oruj Leadership and Management Institute, le premier collège communautaire pour femmes d’Afghanistan, qu’elle a fondé en 2009. Il est essentiel d’obtenir du financement, et Sadiqa ne ménage pas ses efforts pour nouer des partenariats susceptibles de soutenir ses écoles primaires et son collège. Cependant, la sécurité demeure le principal obstacle. Cet aspect s’est détérioré au cours des sept dernières années en Afghanistan, ce qui nuit à l’assiduité des élèves et à la présence aux examens. « Quand nous ne pouvons donner les cours, nous prenons du retard. À un certain moment, nous accusions un mois de retard », affirme-t-elle. Par ailleurs, l’école a dû souvent déménager en raison des hausses de loyer. « Nous n’avons pas de financement institutionnel pour couvrir nos coûts de fonctionnement. Or, comme la sécurité est une source de préoccupations, les donateurs hésitent à investir dans de tels projets », explique-t-elle.
L’importance de l’expérience des élèves
Ce qui importe le plus pour Sadiqa, c’est de fournir aux femmes qui fréquentent l’Oruj Learning Center la meilleure expérience qui soit. « Nous tentons de nouer une relation de confiance avec les élèves. Elles nous parlent à un niveau personnel, et nous sommes à leur écoute. Leurs vies sont riches d’apprentissages pour nous », dit-elle en souriant.
Elle relate une situation dans laquelle une femme s'est présentée à l’insu de sa famille pour passer l’examen d’admission de l’Oruj Leadership and Management Institute. « Bien souvent, seule la mère est au courant. Pour les femmes, il est important de jouir de l’appui de la famille, affirme-t-elle. Malheureusement, beaucoup de filles n’ont pas cet appui, les hommes estimant que la place de la femme est à la maison. Beaucoup des filles ont donc peur de ne pas pouvoir accéder aux études postsecondaires. » Pour contourner ce problème, le centre a mis sur pied une association d’anciennes élèves, efforts jusqu’à présent couronnés de succès. Tous les mois, des événements réunissent nouvelles et anciennes élèves. « Ces rencontres, loin d’être axées uniquement sur l’éducation, ont pour but d’inspirer, de trouver des solutions à des problèmes sociaux et de stimuler la confiance en soi. »
Voir encore plus grand
Sadiqa a récemment été invitée par les Nations Unies à faire partie du Technical Advisory Group de la Global Initiative on Education menée par le secrétaire général Ban Ki-moon. Elle peut ainsi faire part de ses expériences et acquérir une perspective mondiale sur l’éducation. Par voie de téléconférences et de forums en ligne, le comité discute de questions comme l’accès à l’éducation ainsi que la pertinence et la qualité de l’enseignement dans le monde.
Entre-temps, la question du financement demeure essentielle pour le maintien du projet de Sadiqa. Alors même que le monde découvre l’existence de l’Oruj Learning Center, les grandes entreprises commencent aussi à s’y intéresser. La société Microsoft a communiqué avec Sadiqa afin de lui offrir des logiciels pour son collège. Sadiqa tente maintenant de mettre la main sur des ordinateurs pour pouvoir exploiter ces logiciels.
L’année dernière, 72 femmes âgées de 18 ans à la mi-trentaine ont obtenu un diplôme du collège communautaire. On prévoit en former à peu près autant cette année. « C’est magnifique de voir ces femmes obtenir un diplôme et entrer sur le marché du travail, lance Sadiqa. Ce qui est encore plus réjouissant, c’est de constater que nous produisons des agents de changement. C’est merveilleux de voir les femmes transformer leur famille et leur communauté. À l’occasion d’une remise de diplôme, j’ai été abasourdie de voir une femme qui s’était déjà cachée pour aller à l’école se faire constamment photographier par son frère, qui était pourtant initialement opposé au projet. »