Alors que le monde se reconfigure à grande vitesse sous nos yeux et met à nu ce que pèse réellement l’Europe, il est utile de rappeler que décarboner notre énergie n’est pas uniquement un enjeu climatique.
En effet, pour les Français et la quasi-totalité des Européens, l’objectif climatique et l’objectif stratégique coïncident exactement.
En France, nous n’avons pas de pétrole ou de gaz fossile… or nous en dépendons pour 60% de l’énergie que nous consommons. Nous achetons ces énergies en Amérique, en Asie, au Moyen Orient. Notre pétrole vient majoritairement aux Etats-Unis (avant 2022, c’était en Russie), et le gaz européen encore en partie de Russie.
Dès lors, électrifier est tout simplement un moyen de produire l’énergie sur notre sol et de renforcer notre souveraineté. Certes, les modes de production bas-carbone nécessitent également des intrants (lors des débats publics, la question de l’uranium, des terres rares ou des métaux est systématiquement posée) et s’inscrivent aussi dans l’économie mondialisée, mais cela n’est en rien comparable à une situation des fossiles où notre dépendance au reste du monde est totale. Par rapport à cet enjeu essentiel d’accélération de l’électrification pour sortir des fossiles, nos débats sur le pourcentage exact de nucléaire et de renouvelables dans le mix sont picrocholins : tout ce qui est produit sur notre territoire avec du bas-carbone est bon à prendre, et l’enjeu principal est de mettre en œuvre en pratique la dynamique de substitution entre électricité et fossiles.
De même, nous avons peu de matières premières en Europe (en partie par choix : nos sociétés ont pour l’essentiel tourné le dos à l’économie extractive, qui n’a pas disparu mais est simplement réalisée ailleurs), et beaucoup de choses à financer (notre rattrapage dans le domaine militaire, technologique, numérique, éducatif…). Dans cette situation, miser sur l’efficacité et la sobriété énergétique n’est pas une lubie ou le masque sournois de la décroissance, mais un choix économique parfaitement rationnel.
Bref, même si c’est un gros problème pour le climat, il y a une certaine logique à ce que les Etats-Unis, la Russie ou les pays du Moyen Orient ne soient pas les premiers à pousser une stratégie de décarbonation : il s'agit de se passer d'énergie dont ils disposent abondamment et qu'ils utilisent dans le rapport de force. En revanche, on ne voit pas quel serait l'intérêt stratégique de l'Europe à prolonger un modèle énergétique fondé sur la dépendance aux fossiles.
En France, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, des choix énergétiques essentiels ont procédé de crises majeures (la crise de Suez en 1956, les chocs pétroliers des années 1970). Et il se trouve que nous faisons justement face à une de ces situations…