Kofi Annan, ex-secrétaire général des Nations Unies, lors du panel sur la Responsabilité de protéger, le 4 novembre 2011, à l’Université d’Ottawa

En 1999-2000, le Canada a proposé [au Conseil de Sécurité de l'ONU] des initiatives pour protéger les populations civiles  

Une victoire pour la responsabilité de protéger

Le 25 octobre dernier, Allan Rock, le recteur de l'Université d'Ottawa et ex-ambassadeur du Canada aux Nations Unies, et Lloyd Axworthy, président de l'Université de Winnipeg et ex-ministre des Affaires étrangères du Canada, ont cosigné un article d'opinion dans les pages éditoriales du journal The Ottawa Citizen. Cet article a été publié en prévision d'un panel intitulé La responsabilité de protéger, dix ans plus tard : réflexions sur le passé, le présent et l'avenir de la doctrine avec MM. Kofi Annan, ex-secrétaire général des Nations Unies, et Lloyd Axworthy, président de l'Université de Winnipeg et ex-ministre canadien des Affaires étrangères, organisé par le CÉPI et l'ÉSAPI, le 4 novembre 2011.


Après dix ans, la RDP atteint un moment marquant de son évolution qui permet de tirer de précieuses leçons pour l'avenir, écrivent Lloyd Axworthy et Allan Rock.

Par Lloyd Axworthy and Allan Rock

Par une coïncidence fortuite, la libération de la Libye la semaine dernière s'est produite exactement dix ans après la mise en avant de la responsabilité de protéger (RDP) par la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des États (CIISE), une initiative canadienne. La réussite de l'ONU en Libye représente une percée historique pour la RDP, moment fort d'un processus visant à protéger les populations civiles des génocides par l'action internationale. Entamé à la fin des années 1990, ce processus était en constant développement depuis.

Manifestant leur cynisme et leur manque de vision, certains observateurs ont laissé entendre ces derniers jours que l'intervention en Libye était une action isolée ou simplement motivée par la soif de pétrole de l'Occident. Nous sommes convaincus du contraire. Ces événements ont en fait montré la RDP en action et prouvé qu'il était possible de l'appliquer efficacement. Loin d'être parfaite, l'intervention en Libye a toutefois indiqué aux tyrans que le reste du monde était capable de leur tenir tête dans le respect du droit international. Elle a aussi permis de tirer d'importantes leçons pour l'avenir.

La RDP a été élaborée dans la foulée des horreurs au Rwanda et dans les Balkans, pour que la collectivité internationale ne soit plus jamais le témoin passif d'atrocités de masse. Pendant son mandat au Conseil de sécurité de l'ONU en 1999-2000, le Canada a proposé des initiatives pour protéger les populations civiles tout en remettant en question le concept de souveraineté de l'État, jusque-là intouchable. La clé de voûte de ces initiatives fut le rapport de la CIISE présentant la RDP, une doctrine à trois volets : prévenir les atrocités de masse lorsque possible, intervenir lorsque nécessaire et rebâtir après l'intervention. Les efforts diplomatiques du Canada ont joué un rôle majeur dans l'adoption de la doctrine à l'unanimité lors du sommet de l'ONU de 2005.

La Libye fut le premier cas d'essai réel de la doctrine. Devant la menace de Mouammar Kadhafi de massacrer son propre peuple (« maison par maison, rue par rue »), l'ONU a invoqué la RDP et autorisé, en vertu de la résolution 1973 en mars dernier, la prise de « toutes [les] mesures nécessaires » pour protéger la population civile dans le cadre d'une intervention internationale.
Il y a plusieurs leçons à tirer de l'intervention en Libye et d'importantes mesures à prendre pour profiter de cette avancée cruciale dans le développement d'une solide norme internationale.

Premièrement, il faut reconnaître que cette intervention constitue un important précédent en tant que manifestation d'un engagement international de protéger les populations dans le respect du modèle établi par la CIISE, soit une action multilatérale sanctionnée par l'ONU et utilisant une force proportionnelle.

Deuxièmement, il est temps de penser à donner à l'ONU les moyens de réagir dans de telles situations. Il existe des arguments convaincants pour la mise sur pied d'une force multilatérale permanente qui réunirait toutes les régions du monde. L'OTAN a bien performé en Lybie, mais ce n'est pas son rôle. Pour des raisons politiques et pratiques, l'Europe et l'Amérique du Nord ne devraient pas avoir à supporter le gros du fardeau. Le gouvernement Obama semble d'accord. Les Américains appuient la RDP, mais aimeraient aussi voir plus de nations participer à son application.

Troisièmement, il faut aussi discuter de la distinction entre l'action militaire visant à protéger les populations des massacres (ce qui peut nécessiter d'enlever à un tyran sa capacité de commander) et une attaque destinée à provoquer un changement de régime (ce qui outrepasse le mandat de protection de la RDP). Étant donné l'infinie variété de circonstances qui peuvent se présenter sur le terrain et le désordre occasionné par le « brouillard de la guerre », les États membres de l'ONU devraient débattre de cette question avant la prochaine crise afin d'établir des principes directeurs et de permettre une meilleure compréhension des distinctions subtiles et importantes devant encadrer un recours convenable à la force.

Quatrièmement, la collectivité internationale doit maintenant s'occuper du dernier volet de la RDP : rebâtir après l'intervention. Pour s'atteler à la tâche herculéenne de reconstruction, de réconciliation et de développement d'institutions démocratiques, le peuple libyen aura besoin d'aide. Reconnu partout dans le monde pour la qualité de sa contribution publique, le Canada est bien placé pour contribuer à ce processus dans le prolongement de son rôle dans l'intervention de l'OTAN.

Enfin, il faut déterminer quoi faire avec la Syrie. De toute évidence, la situation exige une application efficace de la RDP. C'est aussi une chance de prouver que l'intervention libyenne n'était pas un cas isolé. On dit que l'effet des sanctions commence à se faire sentir, mais la collectivité internationale, en particulier à l'ONU, n'assume pas ses responsabilités. Il faut tout mettre en œuvre sur le plan diplomatique pour vaincre la résistance de la Chine et de la Russie. Le Canada peut jouer un rôle utile en déployant son très efficace service extérieur de concert avec des alliés clés.

En conclusion, en dépit de la nature désordonnée du processus et des incertitudes qui planent sur les résultats, et bien qu'il reste beaucoup à accomplir avant de faire d'une intervention protectrice un outil fiable, il ne faut pas diminuer l'importance de la réussite en Libye. En effet, l'aide internationale a été mobilisée efficacement et en toute légalité pour appuyer un groupe de braves citoyens condamnés à une mort certaine pour avoir voulu échapper aux humeurs assassines d'un dictateur cruel. Ce succès a démontré la valeur de la RDP.

Et tout cela à l'intérieur d'une courte décennie. Passons maintenant à la suivante.

Photo : Mélanie Provencher
Mise en ligne : novembre 2011

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Dernières modifications : 2012.02.06
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