Travail: "Et si j’ai besoin de me concentrer, je mets mon casque ou je rentre chez moi», assure Victor 28 ans
Yann LE GALES
Journaliste indépendant. Co-auteur du Bal des Ambitions, avions, argent, armes et politiques. Robert Laffont.
Le Figaro a publié mardi 4 octobre une enquête sur Les Français et le travail : Pourquoi les Français ne placent plus le travail au centre de leur vie (1). Je publie six citations extraites de cette enquête réalisée par Stephane Kovacs. Des témoignages parfois déroutants qui montrent des entreprises désemparées face à un individu hédoniste et soucieux de son moi.
«Le travail constitue moins un marqueur d’inscription sociale ou un levier de bonheur, décrypte Romain Bendavid, directeur de l'Expertise Coroporate & Work Expérience de l'Ifop. Cette perception est homogène selon les différentes catégories de salariés. Les écarts sont également faibles selon l’âge, preuve qu’il ne s’agit pas d’un phénomène générationnel mais d’une tendance de fond.»
Camille, designer de 28 ans, a lâché «le job de rêve», dans une grande maison de luxe, «après cinq ans de pression intense et un burn-out». «J’avais le sentiment de tous les jours avoir à déplacer des montagnes, se souvient-elle. Mais des montagnes de quoi, au fait?» Après un long congé maladie et une psychothérapie, la jeune femme s’est inscrite dans un atelier de céramique. «Cet après-midi, j’ai fabriqué quatre porte-savons, sourit-elle. Je vais gagner beaucoup moins, mais je ne fais plus confiance aux grandes boîtes. Et puis j’ai grandi en pension, loin d’une maman, qui travaillait beaucoup… Moi, je veux voir mes enfants.»
Chef d’entreprise dans le BTP, Antoine raconte sa stupéfaction face au comportement «sans filtre» d’une jeune embauchée de 23 ans: «Elle était là depuis une semaine quand elle a envoyé un texto: “Aujourd’hui, je serai en télétravail car j’attends un livreur”, rapporte-t-il. Le vendredi, elle a déclaré qu’elle devait partir à 15 heures. Puis a eu“un décès dans (sa) famille”, sans vouloir fournir de certificat. Enfin, elle nous a indiqué qu’elle ne viendrait pas en raison de règles douloureuses… Quand on lui a annoncé qu’on ne poursuivrait pas après le mois d’essai, elle a juste lâché: “Ah, OK, ben…next.”»
"Ces bureaux partagés par roulement, sans aucune intimité, accentuent l’individualisation des tâches, déplore Charlotte, 51 ans, cadre parisienne. Il n’y a plus d’esprit d’équipe. Quant à l’esprit d’entreprise, porté aux nues par les anciennes générations, avec ses week-ends d’entreprise, ses vacances organisées par le CE, ses pots improvisés, il est totalement dilué.»
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À l’inverse, Victor, 28 ans, qui vient de quitter un grand groupe pour une start-up hébergée dans un espace de coworking, est enthousiaste: «Il y a du café, de la musique, un baby-foot, décrit-il. Les locaux partagés, c’est beaucoup plus convivial. Aujourd’hui, je suis à côté de l’équipe RH: ça me permet de participer aux discussions. Et si j’ai besoin de me concentrer, je mets mon casque ou je rentre chez moi.»
«Nous sommes entrés dans l’ère du“switch”,celle de la fin des voies toutes tracées, où le marché se transforme profondément, avec la progression des free-lance (+ 126 % en dix ans), l’explosion de la pluriactivité (multipliée par deux en dix ans), fait valoir Élodie Gentina, enseignant-chercheur en marketing à l’IESEG School of Management (2). On peut même se poser la question de l’existence des métiers: parlera-t-on plutôt de missions? Alors que leurs parents demeuraient dans l’entreprise par loyauté, aujourd’hui les jeunes font passer l’ambition de s’accomplir avant celle de réussir: ils ne resteront que s’ils sont heureux.»
(2) Coauteur de Génération Z. Des Z consommateurs aux Z collaborateurs (Dunod, 2018).