Les Clash et le projet de territoire.

Ces derniers jours, plusieurs articles sur les réseaux se sont répondus sur l’enjeu de repenser le projet de territoire des intercommunalités. En ayant en tête évidemment les mutations auxquelles doivent s’adapter nos collectivités (sobriété foncière, eau, énergie, adaptation climat…) mais aussi les contingences d’ordre budgétaire… Tout cela est vrai et pourtant nous avons, nous aussi, souhaité apporter notre contribution, à l’aune des quelques 50 projets de territoire que nos équipes ont accompagnés ces dernières années.

Réaffirmons tout d'abord que le projet de territoire est pour une collectivité et pour ses élus, une des rares fenêtres ouvertes qui permet d’écouter et de considérer la parole de l’autre. Que cet autre, soit un élu municipal, un responsable d’association ou un habitant sans autre casquette : ça n’a pas de prix désormais, ces espaces et lieux d’écoute, sans violence verbale.  Y-a-t-il d’autres occasions dans la vie d’une collectivité, qui vit à un rythme incroyablement rapide, que de pouvoir sereinement « se poser » et se poser la question « quels sont les changements souhaitables, incontournables pour notre territoire, quels sont ceux non négociables, que voulons-nous faire ensemble ». Après tout, rappelez-vous d’où nous venons en matière de stratégie territoriale (pour ma part des Agendas 21 alors pensez-donc…).

Mais ce que j’aimerai pour ma part mettre en débat, c’est comprendre ce mimétisme territorial que l’on constate toutes et tous. En d’autres termes, les projets de territoire se ressemblent. Je vous mets au défi de parcourir sur le web les projets de territoire de différentes collectivités du pays et de ne pas retrouver la priorité donnée au logement, aux mobilités, l’accélération de la transition écologique, le soutien à l’innovation territoriale, à l’action sociale, la prise en compte de la jeunesse, au bien-vivre ici, etc. Ressemblances souvent jusqu’aux formulations, jusqu’à l’ambition affichée.

C’est bien normal après tout. Un projet de territoire met en récit localement un même cadre public d’intervention, avec des compétences partagées qui s’exercent, et des défis structurels auxquels les collectivités ne peuvent se soustraire. Pas surprenant de fait de lire des projets de territoire aboutissant à des engagements voisins, et ce indépendamment des dynamiques locales ou des moyens consentis.

Faut-il s’en formaliser? Non évidemment et on pourrait conclure  au fait que le projet de territoire est "juste" un travail de prospective sur 15 à 20 ans voté par un conseil communautaire élu pour 6 ans. D’où les limites inhérentes de l’exercice.

Mais au fond qu’est ce que ce mimétisme raconte ? Est-ce l’action des consultants ? Certainement en partie. Mais n’est-ce pas également la gestion des compétences qui prend le pas, pour les élus, sur le plaisir à travailler ensemble ? Un formatage de l’action politique locale par l’élaboration du document de programmation, avec ses codes, son phasage, le diagnostic, la stratégie, la fiche-actions, jusqu’à la réponse aux appels à projet régionaux ou nationaux ? [Qui n’a pas son tiers-lieu aujourd’hui ?] Au risque d’oublier que la finalité est d’abord de répondre aux besoins quotidiens d’habitants, et anticiper leurs besoins de demain.

Je pense – il s’agit de ma propre opinion et à nouveau j’attends vos retours - qu’il y a urgence à mettre en relief les différenciations territoriales, et le projet de territoire est l’outil qui le permet dans les collectivités. Tâche difficile évidemment mais pas impossible : les différences, où se cachent-elles ? bien plus qu’un COPIL à animer ou que des données INSEE à compiler dans un diagnostic, le travail de l’AMO est de débusquer les fiertés locales, de valoriser les acteurs pépites, les coopérations entre acteurs, entre collectivités, de recueillir la mémoire, pour mieux se projeter, considérer la diversité des différents publics vivant, travaillant, s’engageant ici, leur donner la parole par des animations construites sur mesure, donner la parole aux jeunes qui seront les futurs élus. En dépit de ses travers, le projet de territoire a toujours été et restera une œuvre chorale et donc sensible.

Des mots me direz-vous ? bien sûr mais pas que. Souvenir ému d’une communauté de communes du Centre Bretagne, le Centre Morbihan Communauté (CMC), du projet de territoire que nous avons eu la chance d’accompagner, et du plaisir du dernier séminaire réunissant une centaine d’élus locaux, animé non pas avec des post-it, mais avec le cercle celtique de Moréac pour un fest-noz endiablé.

C’est peut-être ça en fait le défi du projet de territoire, juste réaffirmer le plaisir de faire ensemble.

Changeons la façon de faire du conseil aux collectivités.

Christian Chatard, directeur de l'expertise Stratégies territoriales, Auxilia

PS. Au fait pourquoi le titre de cet article ? Car à Centre Morbihan Communauté, le projet de territoire a révélé qu’à Guéhenno, commune rurale  « comme les autres » de 800 habitants, les Clash, Léonard Cohen, les Ramones et Midnight Oil ont joué en 1985 devant des milliers de spectateurs bien avant le modèle français des grands festivals. On a bien fait de parler de différenciation territoriale, de plaisirs, de faire ensemble.