La permanence du groupe aéronaval, une évidence !
Le 18 novembre 2022, un communiqué de l’OTAN mettait en lumière la présence simultanée en Atlantique et en Méditerranée de cinq porte-avions de pays de l’OTAN, qui démontre « la capacité de l’Alliance à projeter sa puissance sur l’ensemble de son territoire et à renforcer rapidement ses pays membres », la porte-parole insistant sur le rôle de ces bâtiments qui « contribuent à assurer la dissuasion et à garder ouvertes nos lignes de communication maritimes ».
Une analyse détaillée du communiqué permet de relativiser la portée de cette « présence simultanée », opportune dans le contexte de la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine. Ces porte-avions n’ont pas opéré dans le cadre d’une force constituée et leur aviation embarquée n’aura mené que des missions que tout chasseur basé à terre sur le territoire de l’Alliance peut assumer. Ce rôle particulier du porte-avions mérite ainsi d’être interrogé, alors que le « porte-avions de nouvelle génération » doit prendre le relais du Charles de Gaulle en 2038.
Les travaux de l’Assemblée nationale
Le député Jacques Marilossian , « rapporteur marine » sur le projet de loi de finances pour 2018, avait déjà consacré une quinzaine de pages à la place du porte-avions dans la stratégie militaire française, notant que le groupe aéronaval est un instrument politique et diplomatique avant d’être un outil militaire. Il mettait alors en avant son autonomie d’action, sa flexibilité et sa capacité à durer, trois avantages indéniables propres aux forces navales. Dans les dernières lignes du chapitre consacré à la place du porte-avions dans la stratégie militaire française, le rapporteur posait la question du deuxième porte-avions permettant d’assurer la permanence opérationnelle, qui exista de 1963 à 1997.
Cinq ans plus tard, son successeur Yannick Chenevard ose poser directement la question d’un deuxième porte-avions « identique au PA-NG ». Il affirme que ces bâtiments, « employés majoritairement en soutien des opérations terrestres […] dans des espaces peu militarisés », retrouveraient leur rôle dans le combat naval en tant que « système d’armes de supériorité navale ». Pour démontrer la pertinence de ses propos, il se projette dans l’océan Indien ou dans l’océan Pacifique, « à des milliers de kilomètres de toute base aérienne », sur des théâtres d’opérations où effectivement, de 1941 à 1945, la suprématie du porte-avions et de son groupe aérien a constitué l’atout majeur de la marine japonaise avant que la bataille de Midway, vieille de plus quatre-vingts ans, vienne annoncer la suprématie de la marine des États-Unis.
Reprenant les arguments de Jacques Marilossian , il concède que le Charles de Gaulle occupe surtout la fonction d’« outil stratégique sans équivalent au service d’une volonté politique pour peser dans les crises », assimilant l’appareillage du groupe aéronaval à « un message puissant » que de nombreux Présidents ont effectivement envoyé lors des crises passées. S’adressant aux Parlementaires dans l’optique de la prochaine loi de programmation militaire, le député du Var demande que la France retrouve « la capacité qui était la sienne jusqu’au début des années 2000, c’est-à-dire deux porte-avions ».
Son collègue Christophe PLASSARD , rapporteur spécial « préparation de l’avenir », est plus mesuré dans cette détermination. S’il partage le même constat sur la réalité de la question de l’acquisition d’un second porte-avions, « qui ne date pas d’hier », il constate que le Charles de Gaulle, vecteur majeur « alliant autonomie d’action, puissance, mobilité et endurance », appelle toutefois « des dépenses importantes pour son entretien et son maintien en condition opérationnelle ». Toutefois, et « malgré des investissements massifs », il ne remet pas en cause l’utilité du porte-avions et de son groupe aéronaval, « capable d’infliger d’importants dommages à l’ennemi, sur terre comme sur mer, même dans les espaces où la France ne dispose d’aucune base aérienne à terre », également « outil politique et diplomatique qui contribue au rayonnement de la France et à la crédibilité des forces conventionnelles ».
S’il relativise sans réellement convaincre la vulnérabilité du porte-avions face aux missiles anti-navires, « même hypersoniques » et confirme la pertinence de disposer d’un porte-avions, « compte tenu des besoins de la France liés à l’étendue de nos territoires ultramarins et de nos ambitions géopolitiques en Europe mais aussi dans la région indo-pacifique », il met en avant d’autres solutions, telles que le double équipage du porte-avions ou l’acquisition d’un porte-avions d’escorte plus léger mais offrant des capacités complémentaires, qui seront examinées lors des débats relatifs à l’examen du prochain projet de loi de programmation militaire et à la question de l’acquisition d’un second porte-avions.
Les réponses des Chefs d’état-major de la Marine
L’audition de l’amiral Christophe Prazuck sur le projet de loi de finances pour 2018 avait déjà permis au chef d’état-major de la marine, le 11 octobre 2017, de vanter les avantages du porte-avions français, à cette date sans concurrence en Europe, « une capacité qui peut entraîner nos alliés, notamment nos partenaires européens », liant sa présence au leadership militaire de la France. Alors que le Charles de Gaulle était à l’époque en arrêt technique prolongé, le CEMM avait estimé « raisonnable » l’ambition d’une permanence d’un groupe aéronaval tout en relativisant la perte de capacités liées à cet arrêt technique.
En effet, ainsi que l’avait précisé le CEMM, la Marine nationale peut également compter sur les missiles de croisière, d’une portée d’environ mille kilomètres, armant les frégates multi-missions et désormais les sous-marins de classe Suffren et permettant « de détruire un stock d’armes chimiques, par exemple » et « d’envoyer des signaux politiques extrêmement forts ». Il avait également rappelé le rôle déterminant des bâtiments de projection et de commandement pendant l’opération Harmattan en Libye, qui avaient servi de base de combat pour les hélicoptères de l’armée de terre et qu’il rebaptisera porte-hélicoptères amphibies.
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Invité à s’exprimer le 27 juillet 2022 devant la nouvelle commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, l’amiral Pierre VANDIER , ancien commandant d’une flottille de Rafale M et du Charles de Gaulle, a sans surprise su trouver les mots justes, illustrant dans un premier temps l’agilité d’emploi qui caractérise la Marine nationale. Après l’invasion de l’Ukraine et « en quarante-huit heures », le groupe aéronaval engagé en soutien des forces irakiennes dans leur lutte contre Daech s’est vu confier la tâche de « réassurance aérienne du flanc oriental de l’OTAN, des chasseurs décollant du porte-avions pour voler au-dessus de la Roumanie, de la Croatie et de la Bosnie.
« Les porte-avions suscitent beaucoup de fantasmes. Ceux qui pensent que c’est de l’argent gaspillé devraient commencer par convaincre ceux qui en construisent actuellement, notamment les Chinois et les Turcs, de s’en passer ! »
Interrogé par le député Vincent Bru sur la nécessité de construire un deuxième porte-avions, « alors même que les menaces s’accroissent en Méditerranée et dans la zone indopacifique », le CEMM a indiqué que le Livre blanc de 2013 avait fixé le format de la marine pour 2030 et restait la référence. La question doit évidemment s’inscrire dans le cadre des travaux de la future Loi de programmation militaire 2024-2030, sachant que le groupe aéronaval représente avec la force océanique stratégique les « deux capacités [qui] tiennent toute la marine », avec « tout ce qu’il emporte en termes de puissance, de ravitaillement et de crédibilité, en particulier vis-à-vis de nos alliés ».
Revenant sur la nécessité de disposer de porte-avions dans le contexte d’affrontements armés entre nations, l’amiral Pierre Vandier a souligné qu’il était impossible de « gagner une bataille sans supériorité aérienne ». Si les porte-avions ont démontré toute leur utilité comme outils de projection de puissance dans des espaces peu militarisés, comme l’Afghanistan ou l’Irak, le nouveau contexte mondial et le réarmement naval généralisé impose que « pour pouvoir envisager de remporter un combat naval, il faut avoir la supériorité aérienne […] C’est en tapant loin et fort, en neutralisant les missiles, que l’on peut se défendre ».
Ailleurs sur la « planète bleue »
Si la Russie reste absente du débat, le déploiement catastrophique en termes d’image de l’Admiral Kuznetsov ayant visiblement mis un terme aux ambitions russes dans ce domaine, les Etats-Unis maintiennent leur supériorité acquise durant la deuxième guerre mondiale. L’amiral Mike Gilday, Chief of Naval Operations a communiqué le 26 juillet 2022 ses directives pour la marine, intitulées Navigation Plan 2022. Il y confirme l’objectif d’une flotte de douze porte-avions à propulsion nucléaire, « les plateformes aériennes les plus aptes à la survie et les plus polyvalentes au monde », dédiées au contrôle des océans et à la projection de puissance et capables d’intervenir sur le spectre entier des conflictualités.
La mise au point du F-35 Lightning II , lointain successeur du Harrier a ouvert la possibilité à de nombreuses marines de disposer de « porte-avions » ne répondant pas aux critères historiques de présence de catapultes et de brins d’arrêt. En Europe, la Royal Navy compte dans ses rangs le Queen Elisabeth et le Prince of Wales, l’Italie le Giuseppe Garibaldi et le Cavour et la Turquie disposerait elle aussi de « porte-avions » si les Etats-Unis n’avaient pas renoncé à lui vendre des F-35. En Asie, le Japon, la Corée du Sud et l’Inde consacrent d’importants efforts pour se doter de cette capacité, tandis que la Chine prévoit de construire pas moins de six porte-avions d’ici 2040.
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Le 29 mars 2021, la ministre des armées Florence Parly a inauguré le plateau où NAVAL GROUP , les Chantiers de l'Atlantique et TechnicAtome conduiront leurs études afin d’assurer l'organisation et le bon déroulement d’un projet « majeur pour la Marine, pour nos armées et pour la France ».
Le groupe aéronaval est « un atout stratégique et diplomatique majeur pour la France », l’évidence de sa permanence doit se traduire dans la prochaine loi de programmation militaire, je fais confiance aux Parlementaires pour savoir arbitrer et fixer les priorités.