La mixité sociale au sein des quartiers prioritaires : un défi participatif
Résidence Graville-la Vallée au Havre – future démolition dans le cadre du NPNRU © Clément Lefèvre

La mixité sociale au sein des quartiers prioritaires : un défi participatif

Article co-rédigé par Clément Lefèvre et Anouk Vandaele, consultants spécialisés en stratégie et ingénierie de la concertation et politique de la ville pour Rouge Vif territoires

Les 5 et 6 juillet derniers, l’Agence nationale de la Rénovation urbaine (ANRU) organisait à Paris ses Journées nationales (Jéru), grand rendez-vous des acteurs du renouvellement urbain. Cet événement était l’occasion d’échanger et communiquer sur la mise en œuvre du Nouveau Programme National de Renouvellement Urbain (NPNRU) lancé en 2014, mais aussi d’annoncer le doublement de son budget, promesse de campagne d’Emmanuel Macron. Reste qu’en cette rentrée 2017, les crédits de la politique de la ville, qui permettent de financer l’action sociale, éducative, d’insertion ou culturelle dans les quartiers, ont été amputés de 11% et que la baisse prévue des APL pourrait réduire les capacités d'intervention des bailleurs sociaux.

A travers le NPNRU, l’Agence fait évoluer son approche du réaménagement des quartiers prioritaires. L’intervention du NPNRU se veut, aujourd’hui, mieux intégrée dans l’environnement territorial, davantage articulée avec les questions sociales, économiques et écologiques et enrichie par la concertation.

Parmi les objectifs de l’ANRU depuis ses origines, on trouve la volonté de réintroduire la mixité sociale au sein de ces quartiers dans l’objectif d’une évolution positive. Cela se traduit, dans le NPNRU, par l’interdiction de reconstruire du logement social au cœur du périmètre du quartier politique de la ville (QPV) où ont lieu les démolitions. La fondation Abbé Pierre a dénoncé (rapport 2016) une situation qui, au nom de la mixité sociale, oblige au déracinement d’habitants de leur quartier pour laisser la place à de nouveaux résidents, extérieurs au quartier et plus aisés.

« J’aime mon quartier »

C’est au contact des habitants et dans une concertation intense avec eux et les acteurs locaux, que nous comprenons que peu d’entre eux souhaitent quitter leur quartier. Ils lui expriment même traditionnellement un profond attachement, une fierté d’appartenance, qui semble, à première vue, aller à l’encontre de l’image véhiculée sur les quartiers. Bien que conscients des difficultés de leur quartier, il représente pour eux une « ressource », liée aux réseaux de sociabilité et de solidarité qu’ils y ont créés. Ce constat ne contredit pas le besoin du projet de renouvellement, vécu comme une grande opportunité. Pourtant, l’opportunité la plus grande pour ces quartiers ne réside sans doute pas dans son évolution physique, mais plutôt dans la découverte, pour leurs habitants, de leur responsabilité et d’une véritable capacité d’action. Cette responsabilité, naît de l’appropriation du projet d’aménagement et de leur investissement par leur participation. Elle est le levier d’une dynamique de vie sociale, mais également la clé pour les aider à exprimer ouvertement, demain, leur fierté d’avoir posé leur propre pierre à l’édifice de ce nouveau quartier – le leur. On pourrait parler ici, d’une fierté de responsabilité, pour faire écho à leur fierté d’appartenance.

Or, dans la philosophie proposée par l’ANRU, la réussite du projet urbain semble conditionnée au déplacement d’une partie de la population pour une autre, extérieure au quartier.

Donner une chance à la mixité endogène potentielle

L’objectif de l’ANRU est d’accompagner le quartier vers un nouvel équilibre social. Doit-il se faire par l’arrivée d’habitants extérieurs au quartier ? Le Comité d’évaluation et de suivi (CES) de l’Agence s’est penché sur la question dans son rapport de 2013 intitulé « Changeons de regard sur les quartiers. Vers de nouvelles exigences pour la rénovation urbaine » en soulignant le besoin d’appréhender la mixité d’une manière nouvelle : « Dans plusieurs quartiers, l’objectif du « retour des classes moyennes » est confronté au principe de réalité et évolue vers une conception plus endogène de la mixité ». Mais François Lamy, alors Ministre de la Ville, considérait que céder à ce principe de réalité reviendrait « à adopter une logique de spécialisation des territoires ».

Or, depuis quelques années se développe l’idée que la mixité pourrait venir des habitants eux-mêmes, en incitant les jeunes habitants, attachés au quartier et qui progressent socialement, à rester y vivre à travers un parcours résidentiel adapté. Ils en auront d’autant plus envie qu’ils se seront impliqués dans la transformation du quartier.

La participation citoyenne, moteur de l’évolution sociale du quartier

Plusieurs acteurs et territoires mettent en place des outils permettant aux habitants de « s’épanouir » au sein de leur quartier en même temps que celui-ci entame sa mutation : logement permettant des parcours résidentiels internes au quartier, usages, emploi ou offre commerciale et de services. Nous pouvons citer par exemple les Coop’HLM qui accompagnent les habitants dans un véritable parcours vers l’accession à la propriété avec des garanties et des aides juridiques.

Ce sont aussi des expériences participatives qui permettent de valoriser le territoire et mobiliser sa capacité d’action :

Le rendre attractif en ouvrant des espaces de création collectifs ou individuels, dans la construction d’espaces plus ou moins éphémères avec l’appui du travail émergent des « makers », artisans venant de la culture « do it yourself » - « fais-le toi-même », qui consiste, à l’aide de technologies, à développer soi-même des objets, des espaces… Plusieurs collectifs d’architectes, d’urbanistes, de sociologue, d’artistes, se sont constitués dans cette perspective ;

Le rendre productif en sollicitant la création de start-ups ou d'activités locales en s’appuyant sur les savoir-faire des habitants, comme le font le collectif des Alchimistes à Bondy ou pour Plaine Commune à Pierrefitte-sur-Seine en partenariat avec Rouge Vif territoires, notamment en accompagnant les habitants dans leur projet professionnel ; ou encore avec la création d’espaces de production (culturelle ou d'agriculture urbaine par exemple) ;      

Le rendre dynamique en sollicitant des projets via du financement participatif ou en s’appuyant sur les ressources locales pour produire et construire. Produire des "communs" par exemple – biens qui seront produits pour le quartier et non pour la consommation individuelle (comme une bibliothèque libre et gratuite). Nous pouvons, ici, citer le projet K-PA-CITE à Roubaix. Ces outils s’appuient sur une participation active des habitants et des acteurs locaux et ne peuvent se faire sans une confiance réciproque avec les décideurs. Ils nécessitent une implication politique forte et sont encore trop peu identifiés au cœur des projets de renouvellement urbain. Le champ d’expérimentation ouvert par l’ANRU à travers les appels à manifestation d’intérêt des Programmes d’investissement d’avenir « Ville durable et solidaire » et « Territoires d’innovation » peut permettre ce type d’initiative, mais demande un investissement fort de la collectivité en amont sans assurance d’être retenue (système de mise en concurrence des territoires).

La concertation, au moment du projet est une première étape de rencontre, de dialogue, de construction pour créer une véritable dynamique participative au cœur de ces quartiers. Cette étape charnière, accompagnée des différentes instances de participation (conseils de quartiers, conseil citoyen, associations locales…) marque le début d’une prise de conscience. Mais il est nécessaire d’y apporter un relais durable et local, pour voir émerger une mise en action des habitants dans la transformation urbaine et sociale de leur quartier et, enfin, cette fierté d’appartenance et de responsabilité qui donneront au quartier une chance, une histoire et, peut-être, cette mixité tant invoquée qui aura permis de valoriser les ressources propres du quartier.

MOTS CLES : mixité | rénovation urbaine | participation | concertation | mixité | logement social |  cohabitation | relogement | quartier | gentrification | HLM | classes populaires | Plaine Commune | Grand Paris | Île-de-France | Le Havre| Neuilly-sur-Marne| bailleur


BIBLIOGRAPHIE :

  • Kirszbaum, T. 2008, La Rénovation urbaine : les leçons urbaines américaines, Paris : Presses universitaires de France.
  • Charmes, É. 2009. « Pour une approche critique de la mixité sociale. Redistribuer les populations ou les ressources ? », La Vie des idées, 10 mars.
  • Comité d’évaluation et de suivi (CES) de l’ANRU, 2013, Changeons de regard sur les quartiers. Vers de nouvelles exigences pour la rénovation urbaine
  • Article Localtis.info, 2013, Valérie Liquet, Rénovation urbaine - Le comité de suivi de l'ANRU renonce à la mixité sociale
  • Fondation Abbé Pierre, 2016, 21e rapport sur l'état du mal-logement en France 


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