Kant & Com de Crise
Ci-dessous un thread Twitter publié à la suite de la controverse qui a secoué la Coopérative U au détour de la publication de photos de deux de ses (ex) associé.e.s posant avec des animaux sauvages abattus dans le cadre d'un safari de chasse.
Ils auraient été lynchés. Il aurait fallu ne rien faire. Une réponse plus rapide aurait été appropriée. Des amalgames auraient été faits. Les conduire à démissionner c’est cautionner à la fois la censure et la folie des foules. Petit #thread tentant de démêler #SuperU.
Pour le dire nettement, c’est ici mon point de vue que je déroule, et mon point de vue est qu’il n’y a nullement eu de la part de U cautionnement et encore moins encouragement d’une « chasse aux sorcières ».
Pour le dire simplement, les paroles de la Coopérative U s’appuient sur du concret, et dans la crise en particulier, les mots justes, dits au bon moment, sont des actes, et aucunement un déchaînement.
U est une coopérative, quelques mille associé.e.s en sont les dépositaires solidaires, en définissent par leurs pratiques, en partagent et en défendent, les valeurs.
Cette semaine la Coopérative U a considéré que les pratiques privées de deux associé.e.s ne leur permettaient plus d’être les dépositaires de ce patrimoine de valeurs communes, la marque U.
C’est pourquoi leur départ de la Coopérative U a été décidé, sans qu’il soit besoin, pour l’enseigne, de juger plus avant ces pratiques.
Cependant des discussions de fond, sur l’acceptation ou la condamnation des « lynchages » en place médiatique, sur les effets de foule, accompagnent la récente crise #SuperU - au-delà de sa gestion par et pour l’enseigne, à laquelle j’ai participé.
Pour donner mon point de vue, et le mien seul, qui éclaire évidemment mes conseils comme ma pratique, je crois utile de commencer en fondant mon propos sur une tripartition kantienne du monde.
Il y a trois types de société que nous construisons simultanément, celle de la morale (du bon) où tout serait juste et sage (qui est une asymptote éternelle), celle de la logique (du vrai) où tout est rationnel, et celle de tous les hommes, la communauté esthétique.
Nos expériences se déroulent essentiellement (#paradoxe) dans cette société du jugement, de l’appréciation singulière et subjective de tout ce que nous partageons. Le vrai et le bon guident nos découvertes et nos aspirations, ils n’aiguillent pas nos interactions.
On ne vit qu’ensemble, en société, en communauté, dans le regard et le jugement des autres, regards et jugements toujours particuliers. Nous avions pris temporairement l’habitude de soumettre nos actes et avis au jugement d’un petit nombre, habitude déjà perdue.
L’espace médiatique des deux cents dernières années a été réservé à quelques-uns, aux verrous plus ou moins imbriqués de l’opinion fabriquée et du pouvoir. L’espace médiatique du jour est riche - et complexe - de milliers d’interactions (cf les travaux de Dominique Cardon).
Ce n’est donc plus le jugement de quelques-uns qui fait la norme, mais bien les appréciations particulières qui se multiplient et s’agrègent, offrant ainsi à cette tumultueuse société de faire sauter les verrous qui l’enfermaient - tels #metoo ou #ExtinctionRebellion par exemple.
Pour le cas d’espèce, la société (toute désordonnée qu’elle est) fait évoluer son jugement sur le rapport aux animaux, sauvages ou d’élevage, plus vite que la loi. Ce n’est pas, ce n’est jamais, une simple affaire de raison et d’organisation.
« Vous excuserez ce langage, mon Père, mais s'il y a une chose qui me met hors de moi, ce sont ces petits malins qui croient que la condition humaine, c'est une simple question d'organisation. »
Ces mots de Saint-Denis, personnage des Racines du ciel de Romain Gary, sonnent ici bien justes, car il y est question de la place - la « marge » dit Gary - que l’on accorde aux éléphants d’Afrique et, à travers eux, à notre décence.
Au fond le sujet n’est pas celui de la légalité ou de la rationalité (économique) de la chasse aux grands animaux de la savane, le sujet est l’acception de la décence que l’on défend.
D’ailleurs, à tous ceux qui disent que tout est légal, je dis qu’il n’y a pire société que celle qui ne sait dépasser ses lois, car alors elle meurt d’immobilisme.
Toute entreprise, toute association, toute marque, opère à même la matière sensible du monde, à même ce tissu d’interactions, et choisit donc de s’accorder à chaque instant au mieux à elles.
C’est ce qui s’est je crois passé pour la Coopérative U qui, consciente de son appréciation collective (celle de la majorité de ses associé.e.s et collaborateurs), de son jugement, sur son rapport aux animaux, a reconnu l’accord de ses vues avec celles d’une multitude.
Il ne s’agit donc jamais de céder doctement à la foule, d’accepter toutes les dérives sans sourciller, mais bien de reconnaître, ici et là seulement, la convergence de principes subjectifs, ceux de l’entreprise, ceux du mouvement qui s’est manifesté cette semaine.
Cela ne présage en rien d’une prochaine décision prise sur un autre sujet dans un autre contexte. Cela ne cautionne en rien les appels outranciers et chasses aux sorcières.
Tout cela marque l’irrémédiable ouverture, pour les entreprises, d’une ère sociale, d’une époque fluide faite d’interactions que les marques se doivent de considérer en permanence.