Dieu s’habille en data.
Giuliano da Empoli signe avec L’heure des prédateurs[1] un livre choc qui veut déranger. Et qui dérange vraiment.
Il ne s’agit pas d’un roman mais d’un réquisitoire. L’auteur du Mage du Kremlin radiographie sans indulgence un monde qui a changé de visage en très peu de temps. Sa thèse : nous sommes rentrés dans l’ère des fauves, des prédateurs qui prennent le pouvoir avec les algorithmes comme armes de combat. Il montre combien sont fragiles les règles de droit quand le pouvoir tombe dans les mains de dictateurs alliés aux demiurges des nouvelles technologies. Avec, entre puissants stupides ou cupides, ce point commun : le culte du plus fort et l’absence totale de respect pour les valeurs démocratiques. Leur force : le mépris de la vérité et des gardes fous. Leur idéologie : aucune, sinon la prise du pouvoir par le chaos. Leur efficacité : la viralité des réseaux qui l’emporte sur la vérité des faits. Il faut imaginer Machiavel heureux.
L’histoire récente lui fait écho : le déclin des valeurs démocratiques dans le monde est un fait avéré. Pour la première fois depuis des décennies le monde compte moins de régimes libéraux que d’autocraties.
Da Empoli n’épargne personne. Ni les nouveaux dirigeants totalitaires, à l’est comme à l’ouest. Ni la plupart des dirigeants démocrates, sans vision, tièdes, bavards et faibles. Ni les grands bénéficiaires du capitalisme sans entraves, complices naturels des nouveaux maîtres. Ni les citoyens transformés en « foules sentimentales » faciles à captiver ou à terroriser, c’est selon.. Dans les années 30 Sinclair Lewis prophétisait : « si le fascisme arrive un jour en Amérique ce sera au nom de la liberté. »
La question que Da Empoli laisse en suspens est vertigineuse : les démocraties auront elle la force de réagir contre cette nouvelle emprise transnationale, insidieuse qui s’empare des esprits ? Auront-elles la volonté de s’opposer aux manipulations de masse rendues possibles par les nouvelles technologies ? Pour le moment son constat est angoissant : l’Occident s’installe dans une terrible servitude volontaire. La servitude des âmes faibles qui préfèrent se coucher que combattre.
Nous sommes dans le Procès de Kafka, signifie l’auteur. Personne ne sait ce qu’il fait devant le tribunal. Ni le prévenu, ni ses juges, ni le public. Mais le destin suit son cours, tragique. Et le Dieu qui décide s’habille en datas.
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Bernard ATTALI.
[1] Éditions Gallimard, mars 2025.
Investor and Financial Adviser,Former Chairman & CEO, Elior Group
1 sem.Merci Bernard A
EU Lobbying/Influence Senior Consultant
1 sem.Oui Da Empoli et Le Grand Continent nous donnent les clés de lecture de ce qui se passe. On ne pourra pas dire que l'on ne savait pas....
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1 sem.Brillantissime bravo