Cédric Villani : «L’informatique durable n’existe pas encore»

Certes, l’informatique permet de tout faire depuis son salon, mais en quoi répond-elle aux grands enjeux de la planète ? Le député et mathématicien Cédric Villani participera au forum «Les cités numériques, quand Internet change nos villes», diffusé vendredi 16 avril à 19 h 30 sur le site de «Libération», YouTube et Facebook. Une rencontre organisée par «Libération» en partenariat avec Google.

Quand j’étais adolescent un disque dur c’était 10 Mo, de quoi stocker une poignée de photos HD d’aujourd’hui. Aujourd’hui les disques durs font 1 000 Go et, de toute façon, le stockage dématérialisé permet encore bien davantage. Plus vite, plus grand, plus beau : pendant plusieurs décennies, les lois de Moore ont gouverné la croissance exponentielle des performances de l’informatique, avec une sensation de progrès plus forte que dans aucun autre secteur.

Pourtant, il y a quelques années, le blues est apparu. Blues des performances : en 2016 la loi de Moore originelle a officiellement atteint ses limites. Blues de l’impact économique : à part les multinationales informatiques, l’informatique n’a pas vraiment apporté de confort économique aux entreprises et à leurs employés. Blues du sens : certes l’informatique permet de produire des effets spéciaux inouïs et de tout faire depuis son salon, mais en quoi répond-elle aux grands enjeux de la planète ? En 2018, mon rapport sur l’intelligence artificielle consacrait un chapitre entier à l’environnement : quels avantages et quels inconvénients de l’algorithmique face au plus grand défi de notre temps ?

La technologie ne nous dédouane pas des durs choix politiques

Les avantages sont diffus et difficiles à quantifier. L’algorithmique aidera partout : de meilleurs diagnostics de biodiversité, des économies d’énergie par optimisation… mais ce gain de productivité irriguera les secteurs bénéfiques comme les nuisibles. Tant que la détection de gisements de pétrole sera prioritaire, au niveau mondial, sur la création de gisements de panneaux solaires, le bilan du numérique contre le dérèglement climatique sera négatif. La technologie ne nous dédouane pas des durs choix politiques. Les aficionados de la 5G vantent les mérites de la voiture autonome ou de l’optimisation énergétique, mais attention au leurre : la première sera sans intérêt si les voitures restent individuelles, la seconde n’a que faire des hauts débits de la 5G.

 

Les inconvénients, eux, ne sont que trop clairs, liés à l’empreinte environnementale en forte croissance. Au rythme de croissance actuel, dès 2040, la consommation d’énergie, de silicium, d’indium requis par l’informatique excéderait la production mondiale totale d’aujourd’hui… L’informatique durable n’existe pas encore ! Le Shift Project [think tank qui œuvre à l’atténuation du changement climatique, ndlr] a longuement analysé le sujet. Certes il y a débat, certes le coût marginal d’un téléchargement reste minime, certes les centres de données bons élèves produisent maintenant leur propre énergie. Il n’empêche, l’impact environnemental total continue à croître ! Quant aux économies réalisées par dématérialisation, leur impact écologique et social reste flou.

Au-delà de cela, le développement de l’informatique est allé de pair avec une confiscation de nos attentions individuelles et collectives. Nos cinq heures quotidiennes devant des écrans (plus en temps de Covid) et les giga valorisations des majors de l’informatique ont permis de belles réalisations, mais le niveau de bonheur ambiant n’a pas augmenté, pas plus que les outils frappants pour réparer le monde. Comme le disait Aurélien Barrau : «Quand on aura la 27G, on pourra télécharger tout Internet en une seconde mais où en sera la biodiversité ?» Finalement, discuter du bienfait de la technologie est illusoire tant qu’on ne s’est pas mis d’accord sur le projet de société.

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