💡Le coup de cœur du samedi : un bel hommage aux gardiens d'immeuble, piliers du logement social par Estela Xhafa. Ce texte nous rappelle à quel point les gardiens d'immeuble jouent un rôle essentiel dans notre société. Leurs missions sont souvent complexes mais nécessaires au bon fonctionnement de nos espaces de vie.
Je ne monte plus dans un ascenseur sans penser à lui. Lui, ou elle. Le gardien. La gardienne. Ceux que l’on croise sans toujours saluer, que l’on entend sans écouter. Ceux dont le travail commence bien avant le mien, dans le silence encore endormi des immeubles, quand la ville est floue et que le jour hésite à se lever. Je suis chargée de secteur chez Grand Lyon Habitat. Et depuis que je marche à leurs côtés, que je les vois tenir le quotidien à bout de bras, je ne traverse plus un hall comme avant. Je ne regarde plus un mur propre sans penser à tout ce qu’il a fallu endurer pour qu’il le reste. Je ne foule plus un sol sans penser aux pas fatigués qui l’ont nettoyé. Est-ce qu’on sait vraiment combien de fois ils recommencent ? Combien de flaques de pipi ont été essuyées en silence, à genoux, sans plainte ? Combien de crachats ont été effacés de vitres souillées par l’indifférence ? Est-ce qu’on imagine la fatigue que laisse une journée où chaque chose faite se défait, où chaque geste proprement accompli est condamné à être repris demain ? Et malgré tout, ils reviennent. Chaque matin. Avec patience, sans fracas. Parce qu’ils savent, eux, que leur travail est essentiel. Même s’il est invisible. Même s’il n’est pas remercié. Même s’il est sali. Encore. Et encore. Ils balayent. Pas seulement des déchets. Mais des humiliations, des oublis, des absences. Ils essuient. Pas seulement des sols. Mais ce que notre société laisse couler. Ils désinfectent. Pas seulement des poignées. Mais parfois, des blessures invisibles. Ils ramassent. Pas seulement des papiers. Mais les morceaux de notre lien social abîmé. Ils signalent. Pas seulement des pannes. Mais qu’ils sont encore là. Qu’ils tiennent. Ils saluent. Pas seulement par politesse. Mais pour rappeler qu’on existe les uns pour les autres. Chaque geste est une preuve. Une preuve de courage, de constance, d’humanité. Une preuve qu’on peut faire le bien, même dans l’ombre. Qu’on peut être grand, sans bruit. Qu’on peut rester digne, même face à l’absurde. Parfois, je cherche les mots pour les soutenir. Pour remonter un peu leur morale quand les épaules ploient, quand le cœur est fatigué. Mais que dire à quelqu’un qui recommencera demain, ce qu’il vient de finir aujourd’hui ? Comment remercier assez ceux qui nettoient ce que d’autres maltraitent ? Ils m’ont appris à voir autrement. À ralentir. À ressentir. À me taire aussi, parfois, juste pour observer la beauté d’un geste simple mais profondément juste. Alors non, je ne monte plus dans un ascenseur sans penser à eux. À leurs mains marquées. À leur dos fatigué. À leur regard qui dit qu’ils savent. Et à chacun de leurs gestes, simples, répétitifs, invisibles, mais plus nobles que bien des discours. Parce qu’à force de remettre un peu d’ordre dans notre chaos, ils nous rappellent que la résilience ne s’exprime pas dans les grands éclats, mais dans ces gestes silencieux qui, jour après jour, reconstruisent ce que nous négligeons.